Typographisme

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Un avis sur @font-face

La bonne représentation de la typographie à Paris Web a été l’occasion d’aborder brièvement @font-face, la révolution de 2009 qui devait nous délivrer des polices websafe autant que du sIFR et des scripts PHP douteux, employés pour rendre du texte dans la police de son choix.

La nouvelle de la prise en charge d’@font-face sur les grands navigateurs actuels ne pouvait que susciter l’enthousiasme, mais une fois les brumes du délire dissipées, il reste un certain nombre de problèmes et de questions qui font que papoter @font-face peut, contre toute attente, virer au pugilat. Cet article étant un poil long, la maison fournit gracieusement le sommaire :

  1. A-t-on vraiment besoin de @font-face ?
  2. Du côté du support et de l’implémentation
  3. Faire les choses dans les règles
  4. L’angoisse du vilain pirate tipiak

A-t-on vraiment besoin de @font-face ?

Avant même de m’interroger sur son utilisation, j’ai commencé, en bonne réactionnaire, à me demander si @font-face était vraiment nécessaire. La question peut paraître un peu bizarre dans la mesure où ça fait des années qu’on se cogne les mêmes font-stacks et qu’Arial, Verdana et Times nous sortent par les yeux. Pourtant, certaines polices websafe (Verdana et Georgia) ont été dessinées spécifiquement pour l’écran, elles sont particulièrement lisibles grâce à leur gros oeil, et elles sont fort bien rendues. En plus, Georgia est très esthétique, c’est une vraie réussite sur le plan du dessin. Pas besoin d’avoir @font-face pour composer des textes lisibles et agréables : on avait déjà les outils optimisés pour.

Casse d'Elzévir à l'Atelier des Arquebusiers, par Mitternacht

D’autre part, je me fais souvent la réflexion qu’à l’époque du plomb, les imprimeurs n’avaient pas 1500 typos dans leurs ateliers. Imaginez : une casse par corps et par variante. Ça prend de la place. Les typographes s’appuyaient en général sur une dizaine de typos qui répondaient à 99% de la demande. Les polices Websafe ne font que reproduire ces conditions, et comme toutes les contraintes en matière de design, elles poussent à faire preuve d’originalité dans la composition de la page. En tombant sur des designs inattendus, des usages originaux, j’ai vraiment redécouvert le Times et le Georgia que je ne voyais plus.

Donc dans l’absolu je dirais qu’@font-face n’est pas indispensable. Par contre, c’est un vrai bonheur, une liberté nouvelle – et un gage d’accessibilité, dans la mesure où il n’est plus nécessaire de passer par l’image pour afficher du texte dans une typo non websafe. Sur le plan du design, ça fait environ la même chose que d’ouvrir la fenêtre en grand au retour des beaux jours. Pourtant, quelques voix s’élèvent régulièrement contre @font-face, principalement pour deux raisons : l’inégalité de la prise en charge et la crainte du piratage des polices mises à disposition sur le serveur.

Du côté du support et de l’implémentation

Effectivement, côté prise en charge (et donc implémentation), c’est pas vraiment le temps des cerises. Chaque navigateur a son format préféré, si bien que pour utiliser @font-face vous devez fournir et déclarer le fichier de police en trois formats (TTF, EOT et SVG) pour assurer un minimum d’interopérabilité. Si en plus vous vous souvenez que vous devez prévoir un fichier pour chaque variante ou graisse que vous comptez utiliser, vous pouvez rapidement arriver à 3 fichiers x 4 variantes (romain, italique, gras, italique gras (enfin celui-là vous pouvez vraiment vous en passer – si si, j’insiste)), soit 12 fichiers, plein de lignes de CSS, et on n’a pas encore intégré le facteur poids.

Déclarations @font-face

L’espace de stockage n’est pas vraiment le problème, c’est plutôt la bande passante et le débit des utilisateurs (et puis c’est un peu fastidieux tout ça, il faut le reconnaître). Je vous rappelle tout de même, au passage, que le visiteur ne charge que les fichiers dont son navigateur a besoin. On peut diminuer cette charge de plusieurs façons. D’abord en limitant le nombre de polices utilisées, ce qui est de toutes façons préférable d’un point de vue strictement esthétique, mais aussi en créant des subsets, c’est à dire en ne conservant, dans les fichiers de police, que les caractères vraiment utiles. Vous pouvez le faire vous-même avec une appli de création de fontes, mais vous pouvez aussi demander à un service Web de le faire pour vous, ce qui prend 97% de temps en moins d’après une étude. Je pense notamment à FontSquirrel : vous lui donnez votre police, vous choisissez votre subset selon des critères aussi simples ou compliqués que vous voulez, et il vous donne un gros zip contenant votre subset dans tous les formats demandés, accompagné du bout de CSS qui va bien. Formidable.

Faire les choses dans les règles

Naturellement, vous savez bien que vous ne pouvez pas utiliser n’importe quelle police de cette façon. Surtout pas celles que vous avez fauchées à vos copains, parce que sur le Web, ça se voit. A priori, on pense aux polices gratuites qu’on trouve un peu partout. C’est effectivement une bonne idée, surtout si on les choisit bien. Et contrairement à la légende, il y a des polices gratuites très bien réalisées, pour la simple raison que ce sont des fonderies qui les diffusent pour se faire un peu de pub. Profitez-en. Elles sont rares mais faciles à trouver.

Ça c’est la solution Jamendo. Allons faire un tour du côté d’iTunes. Il existe tout un tas de services Web qui s’associent aux fonderies pour proposer des licences Web pour des polices de grande qualité, autant pour le titrage que le texte courant. Les tarifs sont, selon moi, raisonnables. L’avantage de cette solution : le service héberge les polices et les sécurise. Les fonderies font confiance et n’ont pas peur de voir leur marchandise téléchargée impunément. Résultat : vous avez à disposition un choix de plus en plus grand de belles polices, et vous n’avez pas besoin de lire la licence de vos typos dans son intégralité pour savoir si vous êtes dans la légalité.

L’angoisse du vilain pirate tipiak

Les fonderies ont une trouille, qui explique le développement très rapide des services comme Typekit, Webfonts et autres. Que les gens utilisent des polices payantes sur le Web avec @font-face, sans aucune sécurité. En moins de 5 secondes, n’importe quel utilisateur peut récupérer le ttf. Mon avis, c’est que la télévision a trop parlé de la prétendue ruine de l’industrie du disque causée par le téléchargement illégal, et que les fonderies regardent trop la télé. Elles omettent un élément essentiel : la musique, c’est du divertissement. Une police, c’est un outil de travail.

D’abord, mettons-nous d’accord. Le vrai danger, pour les fonderies, est que leurs ventes baissent. Pas que Gaëlle Madec, vétérinaire à Plougastel, ait une police à 300 € sur son ordi sans l’avoir payée. Puisque si Gaëlle Madec est vétérinaire et pas designer, ça ne représente pas un manque à gagner pour la fonderie, dans la mesure où il ne serait jamais venu à l’esprit de Gaëlle Madec de mettre 300 € dans une famille, fût-elle jolie (il y a même fort à parier que Gaëlle Madec ne se doute pas qu’un famille de polices puisse coûter ce prix-là mais passons).

Ensuite – je ne voudrais pas choquer les fonderies, s’il y en a dans l’assistance, qu’elles s’assoient (comment une fonderie peut-elle s’asseoir, je me le demande) – les polices payantes circulent depuis longtemps sur Internet dans l’anarchie la plus totale. Sans vouloir être brutale, trouver un torrent ne prend pas beaucoup plus de temps que d’explorer une CSS pour y trouver une URL. Or, en dépit de cette piraterie, Jean-François Porchez n’a toujours pas été englouti par un calamar géant.

Kraken

Kraken invoqué par des pirates pour couler une fonderie dans l’Interweb déchaîné.

Et pour revenir au point que je citais précédemment, en faisant un peu de psychologie de comptoir, on se rend compte que le danger est assez mince. Qui est susceptible d’utiliser @font-face avec des polices payantes de fonderies ? Des designers. Qui est obligé d’avoir une licence légale pour sa suite Adobe ? Les designers. Qui peut passer les achats de licences de police en frais professionnels ? Les designers. Qui a des chances d’avoir une vague idée du travail que représente une typo et un minimum de respect pour les dessinateurs de caractères ? Les designers. Qui utilise une version craquée d’Adobe et va redécorer son blog avec @font-face en se fichant complètement des histoires de licence ? Des fans de dafont.com.

Je ne dis pas que @font-face ne va pas, dans une certaine mesure, faciliter la circulation non réglementée de polices payantes à succès. Je ne dis pas non plus que cela n’aura aucun impact sur les ventes des fonderies. Mais je pense que celles-ci ont eu la réaction la plus saine qui soit en optant immédiatement pour des modèles commerciaux comme celui de Typekit. Elles ont réagi très rapidement et ce nouveau modèle de licence a été très bien accueilli par la communauté. Contrairement aux maisons de disque, les fonderies n’ont pas attendu, en proposant tout de suite une offre légale, simple d’utilisation et abordable. La relation fonderie-designer (Web ou print) n’a rien à voir avec celle qu’EMI entretient avec ses clients finaux, et c’est en s’appuyant sur cette base et en la renforçant que les fonderies continueront de prospérer.

Cet article ayant suscité de nombreux commentaires - et nous vous en remercions - il a fait l’objet d’une deuxième partie : Vos avis sur @font-face.

dans Design Web Par Anne-So